À la lecture de cet interview du sémillant Olivier Tesquet, je me suis rappelé d’une théorie que j’avais étant ado. D’une manière inexplicable, comme si c’était une expérimentation à l’échelle nationale, il y avait dans mon lycée des classes qui étudiaient 1984, et d’autres qui planchaient sur le Meilleur des Mondes.
Non seulement j’étais team Meilleur des Mondes, mais il me semblait également que nous étions minoritaires. Cela m’allait très bien, je m’enorgueillais déjà à l’époque d’avoir des goûts originaux, qui n’étaient pas influencés par l’industrie culturelle (mais par ma grande sœur).
Toujours est-il que cette disparité dans l’étude de ces deux oeuvres n’avait aucune explication rationnelle. Ce n’était pas lié à la spécialité ni au type de classe. Je pense aujourd’hui que les professeurs de Français avaient simplement le choix. Peut-être même qu’ils alternaient d’une année sur l’autre.
Je reviens à ma théorie donc, d’une expérimentation à l’échelle nationale. Persuadé alors que nous serions demain ce que nous lisions aujourd’hui, je me plongeais dans de longues réflexions sur les potentielles différences qu’il y aurait entre un citoyen 1984 et un citoyen Meilleur des Mondes quand nous aurons 30 ou 40 ans.
Lorsque mes camarades parlaient de 1984 dans la cour de récréation, je défendais avec ardeur le Meilleur des Mondes comme s’il s’agissait d’une équipe de foot. L’oeuvre d’Huxley était plus subtile, plus moderne, plus réaliste aussi, les métaphores avec la société de consommation ne manquant pas. Une véritable fable contemporaine, un récit d’anticipation comme on n’en fait plus.
Ces débats étaient bien entendus complètement stériles puisque ceux qui lisaient 1984 ne lisaient pas le Meilleur des Mondes et inversement. Nous aurions tous pu lire l’autre livre pour avoir des éléments de comparaison, mais où avez-vu que des ados de 16 ans lisent des livres du programme scolaire pour le plaisir ?